vendredi 18 janvier 2013

Guerre au Mali : comment nous, militaires français, pouvons intervenir si rapidement




         Cela fait une semaine jour pour jour que la France a décidé d'intervenir militairement au Mali. Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a annoncé que 1.400 soldats français étaient d'ores et déjà engagés dans cette opération. Comment se prépare et se déroule un tel déploiement ? Réponse de Jean-Gabriel Cadoux, chef d’escadrons et stagiaire armée de terre de la 20ème promotion de l’Ecole de Guerre.





Des troupes françaises arrivant à Bamako, au Mali, le 17/01/13 (Jerome Delay/AP/SIPA)
Des troupes françaises arrivant à Bamako, au Mali, le 17/01/13 (Jerome Delay/AP/SIPA)

Depuis près d’une semaine, le président de la République François Hollande a engagé notre pays et ses forces armées au Mali afin de protéger nos ressortissants, stopper l’offensive terroriste vers le Sud, et permettre à terme la reconquête du Nord Mali.

Initialement destinée à soutenir les forces maliennes mais confrontée à la réalité du temps politique et diplomatique, la position de la France a considérablement évolué en quelques heures, compte tenu de l’urgence de la situation, comme en témoigne l’appel direct du président malien à l’intervention de la France.

Dans ce cadre, l’armée française a fait preuve d’une réactivité qui suscite autant d’admiration que de questions : comment l’armée française est-elle capable de s’engager, sur très court préavis, dans une opération d’ampleur comme celles de Libye ou plus actuellement du Mali ?

Les options militaires sont soumises aux autorités politiques

La réactivité des armées françaises, argument politique majeur, est rendue possible grâce à un dispositif d’ensemble cohérent de veille, de mise en alerte et de déploiement. Si cet ensemble semble à première vue reposer sur une logique capacitaire, il est avant tout fondé sur une logique humaine, seule capable de mettre en cohérence les moyens adéquats et les missions confiées en fonction des buts fixés.

Pour les armées, la "veille stratégique" est assurée conjointement par la Direction du Renseignement Militaire (DRM) et le Centre de Planification et de Conduite des Opérations (CPCO), situés à Paris au sein de l’état-major des armées.

Le CPCO prépare et conduit l’ensemble des missions sur le territoire national (Vigipirate) comme des opérations extérieures, partout où des troupes françaises sont déployées (Afghanistan, Kosovo, Tchad, République de Côte d’Ivoire, Liban, Mali…). Ainsi, il élabore les options militaires possibles que le chef d’État-major des armées soumet aux autorités politiques.

Dès que ces dernières décident d’un engagement, le CPCO a déjà actualisé et affiné un plan d’intervention ; il est capable de donner immédiatement des ordres aux échelons pré-déployés ou susceptibles de l’être à très court terme, en cohérence avec les objectifs politiques, stratégiques et militaires définis selon une approche globale de la crise.

De l’alerte Guépard à la base à Djibouti, notre dispositif d'alerte

Le Centre de Planification et de Conduite des Opérations s’appuie sur un dispositif d’alerte opérationnelle, fondé à la fois sur :

- Des capacités terrestres, maritimes et aériennes placées sous un régime d’alerte variant de quelques heures à plusieurs jours. Par exemple, l’alerte Guépard (environ 5.000 hommes pré-identifiés) permet de projeter hors métropole des unités de combat, d’appui et de soutien (logistique, renseignement, commandement…) autonomes sous quelques heures pour les premiers échelons, et quelques jours pour les plus importants, par des vecteurs essentiellement aériens et maritimes ;

- La veille opérationnelle permanente de troupes des trois armées pré-positionnées dans nos bases en Afrique et dans la péninsule arabo-persique (Djibouti, Emirats Arabes Unis, Sénégal et Gabon). Alors que le nombre de ces bases tend à être réduit depuis 2008, on comprend néanmoins toute la pertinence de conserver de tels points d’appui sur le sol africain, non loin des foyers de crise actuels ou à venir, et à partir desquels la France peut acheminer troupes et matériels sur un théâtre d’opérations. De même, elles sont autant de réservoirs de forces immédiatement disponibles et de relais logistiques. Enfin, elles permettent le cas échéant la constitution des modules ad hoc au cours d’une mise en condition opérationnelle, phase préliminaire au déploiement.

- La mise à disposition d’unités de combat terrestres et aéro-terrestres, aériennes comme maritimes, déjà déployées dans le cadre d’autres opérations (dispositif Epervier au Tchad, opération Boali en République Centrafricaine, dispositif Corymbe dans le Golfe de Guinée, etc.), ou situées dans nos DROM-COM (forces de souveraineté).

La réactivité, la diversité des moyens engagés et les effets qu’ils peuvent produire sur l’adversaire confèrent à nos décideurs politiques un levier d’action politique, diplomatique et sécuritaire remarquable.

Tout engagement résulte donc d’une mise en adéquation des objectifs à atteindre, des moyens humains et matériels à engager et des effets concrets à obtenir sur le terrain. Ce savant équilibre permet à la fois de disposer des moyens interarmées, d’imposer la décision quelle que soit la situation et de concrétiser par là-même la volonté politique, en respectant la légitimité internationale de l’intervention qui, seule, donne un sens à l’engagement des troupes françaises sur le terrain.

Combien de temps la France pourra-t-elle se permettre ce genre d'intervention ?

Ceci soulève la question fondamentale de l’autonomie capacitaire de la France au regard des études actuelles qui visent à mettre en adéquation l’effort de défense avec les ressources prévisibles. Idéalement, il s’agirait de renforcer la défense européenne par le biais de mutualisations de moyens, c’est-à-dire de partage de pans capacitaires partiels ou complets en fonction de besoins et d’intérêts... communément partagés. A ce titre, l’attitude de nos partenaires européens fut à la fois particulièrement éclairante ces derniers jours, et riche de conséquences quant à nos ambitions à venir.

Cette remarque prend tout son sens dans le contexte actuel qui s’interroge sur "l’empreinte au sol" de nos troupes et son risque corollaire, à savoir l’enlisement dans un pays ami et ex-colonie française, alors que la France peine à sortir de dix ans de présence en Afghanistan et en République de Côte d’Ivoire.

Même si les armées ont réagi immédiatement, elles demeurent néanmoins au milieu du gué de leur transformation structurelle. A ce titre, l’engagement au Mali révèle le caractère indispensable de conserver à l’ensemble de nos forces armées, mais surtout à sa composante terrestre leur volume, leur cohérence et leurs savoir-faire combattants, seules garanties de leur réactivité.

Les caractéristiques de cette intervention pourraient se situer entre l’expérience tirée des théâtres d’opérations africains et les savoir-faire à la fois conventionnels et contre-insurrectionnels développés en Afghanistan ; dans tous les cas, elle nécessite comme tout autre engagement une formation solide au combat de contact, un entraînement constant et une disponibilité permanente et immédiate de ses hommes et de ses matériels.

Il est à craindre qu’à l’avenir, toute diminution substantielle du format de nos forces armées pourrait réduire considérablement la capacité de la France à répondre présent à pareille sollicitation. Aujourd’hui, la France peut se le permettre. Pour combien de temps encore ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire